Histoires de quenelles

Fête de la quenelle : Nantua 12 octobre 2013  

par Liliane Plouvier.  

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C’est la fête aux quenelles de brochet à Nantua, leur patrie !

Tous les automnes les pêcheurs vident non seulement le lac de ses plus prestigieux brochets mais y chassent les ultimes écrevisses dont la chair exquise servira à la confection de la sauce qui les nappe : la célébrissime nantua !

Les quenelles de brochet nantua sont un des sommets de la haute gastronomie française. Afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli, à l’instar d’autres trésors culinaires de France et de Navarre (comme la « garniture financière » ou la « bécasse à la Riche »), les Nantuatiens ont créé il y trois ans la « Confrérie de la quenelle sauce nantua » qui enseigne aussi l’art de leur fabrication. Celle-ci n’est pas à la portée du premier cordon bleu venu. La composition de la farce à quenelles obéit à des lois strictes. Les proportions œufs/brochet doivent être calculées au centigramme près, afin que la chair du second n’écrase pas les premiers. Leur «émulsion » nécessite des doigts de fée car l’appareil doit rester le plus aérien possible. Mouler celui-ci en forme de godiveaux allongés n’est pas une mince affaire non plus. Même leur pochage relève de la haute voltige, la température du court-bouillon devant être sous surveillance constante afin qu’ils puissent lentement mais sûrement monter « jusqu’aux cieux ». En respectant scrupuleusement ces règles on obtient d’évanescentes quenelles magnifiquement soufflées.

Une fois égouttées celles-ci sont nappées d’une légère et onctueuse sauce nantua aux écrevisses qui, elle aussi, nécessite savoir-faire et tour de main. Cependant, les quenelles de brochet ne sont pas une exclusivité du Bugey.

Un peu plus loin, de l’autre côté de la frontière, dans le Haut Adige et le Tyrol, on en fabrique aussi appelées gnocchi ou canederli di luccio (= brochet)… De fait, gnoccho ou canerderlo possèdent la même racine que quenelle (et d’ailleurs aussi que Knödel). Tous descendent du lombard knohha, dérivé lui-même du latin nodus, signifiant nœud ; étymologie aussi curieuse qu’inexplicable !

 

Gastronomes du pays de Brillat-Savarin, rassurez-vous, votre divine spécialité n’a pas à craindre la concurrence italienne. Les gnocchi ou canederli di luccio sont d’une désolante pauvreté : ils ne comportent pas d’œufs et ne gonflent donc pas ; qui plus est, les écrevisses ne sont pas au rendez-vous…pauvres canederli di luccio nageant simplement dans un court-bouillon, certes goûteux mais désespérément nu, sans corps et, de surcroît, froid...

On a beaucoup épilogué sur les origines des quenelles soufflées de brochet. Celles-ci sont nettement plus anciennes qu’on le pense généralement puisqu’elles ont un millénaire et demi… La plus ancienne recette figure dans un réceptaire du VIe siècle élaboré pour le fils de Clovis, Thierry 1er roi des Francs, par le médecin-gourmet Anthime, originaire de Byzance. Elles doivent, spécifie-t-il, contenir beaucoup de blanc d’œuf et « prendre l’apparence de l’écume … qui se dit spumeum en latin et afroton en grec ». Une façon on ne peut plus claire de signaler qu’il s’agit d’ une préparation soufflée. Anthime est d’ailleurs expert en la matière puisqu’il recourt à des blancs d’œufs battus en neige dans d’autres recettes posant notamment les jalons des îles flottantes et des œufs à la neige …(Voyez à leur sujet Festins mérovingiens – dir. Alain Dierkens et Liliane Plouvier, Bruxelles, 2008, p. 142-148).

 

Evidemment, il existe aussi des quenelles faites avec des poissons différents (voire des viandes). La littérature culinaire antique les appelle de piscibus isicia (quenelles de poisson). Elles auraient été inventées par l’empereur Elagabal réputé pour ses frasques à table et ailleurs… Cependant, elles ne comportent aucun appareil à soufflé et manquent donc de légèreté.

De toute façon, elles sont faites avec des poissons de mer et non d’eau douce.

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