Suite à l'article de Nicolas-Jean Brehon paru dans Le Monde
du 12 octobre : Cuisine politique autour du "fait maison".
par Gérard Allemandou.
Réponse à Nicolas-Jean Brehon, cuisine médiatico-politique du « fait maison », postée sur www.lemonde.fr/.
Les français qui fréquentent les 200 000 restaurants de notre pays, dont 150 000 indépendants, souhaitent évidemment y trouver une cuisine de qualité.
Mais le débat du “fait maison” pose-t-il les bonnes questions pour chercher à garantir l'excellence de la gastronomie française ? Évitons d’abord peut-être l'auto-flagellation chère à bien trop de nos concitoyens. Rien ne sert de stigmatiser certains grands groupes hôteliers en parlant de honte ! Au contraire, sachons être fiers de ces entreprises de restauration ou d’hôtellerie qui se classent dans les premières au monde. N'opposons pas les différents types de restauration entre eux, ni la restauration à l'industrie agro-alimentaire. Est-il besoin de rappeler que beaucoup d'industriels ont commencé comme artisan des métiers de bouche ? Les uns comme les autres, nous défendons la gastronomie française. Passons-nous du sempiternel « c'était mieux avant », laissant croire qu'autrefois on mangeait bien partout... L'augmentation du nombre des repas pris en dehors du foyer, passé en 40 ans de 5 % à 13 %, rend les comparaisons délicates. Le Guide Michelin cite aujourd'hui plus de 3 400 restaurants dont on peut augurer de la qualité, combien en citait-il en 1950 ? Il y avait autrefois, comme aujourd'hui, de bons restaurateurs comme de mauvais. « Le Collège Culinaire de France » fondé par 15 chefs reconnus internationalement était-il le mieux placé dans sa louable intention de défendre la qualité de la restauration pour demander, au nom de l'ensemble de la profession, la règle du « fait maison » ? La restauration qu'il représente, celle à plus de 30€ de ticket moyen par personne, ne réalise que 3% du chiffre d’affaire total du secteur ! Sans oublier que parmi ces chefs, bon nombre sont conseillers pour des groupes agro-alimentaires qui préparent les produits qu'ils incriminent, ce qui d'ailleurs est plutôt rassurant quant à leur qualité. Les types de restauration sont si disparates dans notre pays que les différents syndicats qui les représentent n'arrivent pas à trouver une position commune sur le sujet. Nous le savons tous, un “bon” plat se fait avec de “bons” produits et une “bonne” recette, certes, mais sa réussite dépend surtout de la qualité de l'ouvrier qui la réalise. Un cuisinier médiocre (car mal formé ?) fera «maison» une cuisine médiocre, probablement plus mauvaise que celle faite par un bon professionnel utilisant des produits dits industriels. Le “fait maison” n’apporte rien si le professionnel aux fourneaux n'est pas compétent. Notre métier est un métier de main d’œuvre, pourtant, parmi les 90 000 restaurants traditionnels français, 52 600 ont moins de trois employés. La masse salariale de ces entreprises a augmenté depuis 2007 de 4 % relativement à leur chiffre d’affaire. C'est la quadrature du cercle de la majorité des artisans de la profession. Comment valoriser le travail de cuisinier quand le ticket moyen est, toutes entreprises confondues, de 13,35€ ? Alors de petites structures, comme de grandes, choisissent de travailler avec certains produits de l'agro-alimentaire, pour diminuer la charge de travail de leur personnel et certains coûts de matière première. Cela n'a rien d'infamant ! Nous avons toujours été des marchands, même les quelques « orfèvres », qui ont su porter bien haut le génie culinaire français. Cela ne mérite aucune opprobre et n'est pas contradictoire à notre savoir faire. La majorité de la profession se compose d’artisans, comme l'était Escoffier, qui suivait avec intérêt l'évolution du monde qui changeait. Ainsi créa-t-il une sauce « Robert » citée dans son Guide Culinaire, qui porte son nom, Escoffier,... en boîte. La restauration de qualité n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui. Les clients ne se trompent pas et savent naturellement choisir où ils souhaitent manger en remplissant les restaurants qui leur plaisent. Il faudrait, parait-il, leur redonner confiance pour qu'ils reviennent dans nos maisons, qu’ils auraient eu tendance à déserter ces dernières années. Mais plutôt que la confiance, ne serait-ce pas la crise qu’il faudrait incriminer ? Alors faisons le dos rond pour la laisser derrière nous, soyons rassurés, il paraît que ce sont toujours les meilleurs qui s'en sortent !
Gérard Allemandou Cuisinier-restaurateur
PS : Et si toute cette cuisine médiatico-politique n'était qu'un écran de fumée pour faire oublier à la profession que demain la TVA passera de 7 à 10 % ?