Les mangeurs et l'espace social alimentaire
Auteur : Jean-Pierre POULAIN
Editeur : Presses Universitaires de France - 2002
Billet de Bernard Lafon.
Constat de l’auteur : la fonction structurante de l’alimentation dans l’organisation sociale d’un groupe humain rencontre inévitablement le regard sociologique. Il ambitionne donc de faire l’état des lieux, non point de la sociologie, mais des sociologies de l’alimentation, tant les pratiques alimentaires questionnent l’ensemble du corpus constituant celle-ci. Au fil des pages et des chapitres, nous retrouvons des thématiques bien connues du public : mondialisation, délocalisation et relocalisation, lieux de résistance identitaire, pratiques du culinaire dans la sphère publique et privée, auxquelles s’ajoutent des développement très stimulants sur ce que l’on pourrait appeler « penser le manger » et ses différentes écoles. Ainsi la gastro-anomie de Cl. FISCHLHER (caractérisée par trois phénomènes concomitants : une situation de surabondance alimentaire, la baisse des contrôles sociaux et la multiplication des discours sur l’alimentation), la perspective fonctionnaliste : le repas comme institution, jouant un rôle fondamental dans la transmission normative, développée par E. DURKHEIM, M. MAUSS, M. HALBWACHS. L’anthropologie des techniques ou l’alimentation sous l’angle des techniques de consommation initiée par A. LEROI-GOURHAN. L’approche culturaliste qui pointe la très grande diversité des formes et des techniques alimentaires (R. H .LOWIE, M. MEAD). La perspective structuraliste ou «… l’alimentaire, la nourriture et surtout la cuisine deviennent dans la réflexion de Claude LEVI STRAUSS un élément aussi fondamental que l’analyse des institutions qui entourent et structurent la sexualité».
L’obésité, la consommation des ménages, la sociologie du mangeur. Rien n’est oublié ou presque. On s’arrêtera plus longuement sur le chapitre « la sociologie de la gastronomie française ». L’auteur distinguant préalablement l’alimentation de la gastronomie qualifie cette dernière … « comme un "fait social " de première importance pour saisir l’originalité de la société française et son organisation. » Il souligne sa complexité, s’interroge longuement sur le « pourquoi la gastronomie est-elle française ? », essaie d’en discerner les racines en mettant à contribution Max WEBER et son école et nous apporte une réponse combinatoire appelant pour le moins le débat, qu’il n’est pas possible d’engager ici.
Le livre s’achève sur un essai de définition d’un « espace social alimentaire » comme outil privilégié pour l’étude des modèles alimentaires. La conclusion insistera sur la détermination des sciences de l’alimentation, condition pour l’auteur de l’émergence d’une véritable sociologie des sciences de l’alimentation, où sciences dites « dures « et sciences dites « molles », producteurs de contenus alimentaires, rendent possible une sociologie enfin unifiée reléguant au vestiaire les sociologies, pierre angulaire de l’étude.
Ouvrage de 278 pages, dont 28 pages de références bibliographiques, qui demande a priori un esprit curieux, doté d’une solide culture générale, mais qui sait aller à l’essentiel parmi les nombreux exégètes de la « pensée alimentaire ». C’est une intéressante contribution à la culture gourmande que notre association et sa revue se veulent de promouvoir.
*Jean-Pierre POULAIN est professeur de sociologie à l’Université de Toulouse Le Mirail. Il co-anime entre autres le Comité de recherche : Sociologie et Anthropologie de l’alimentation, de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF).