Le calisson d’Aix est un petit gâteau en forme de losange : un canapé en pain azyme est couvert de pâte d’amande mêlée à du melon confit et broyé, le tout est nappé de glace royale. Son étymologie comme ses origines ont donné lieu à des légendes aussi farfelues que rocambolesques. Google les distille sans vergogne sur le net…
Je vais humblement tenter de rétablir sa véritable histoire en me fondant sur des sources bibliographiques incontestables et peu connues.
Calisson vient du bas latin calisone qui dérive, lui-même, du latin calceum (= chaussure) ayant d’une part abouti à l’italien calza et au français chaussette, de l’autre, à l’italien calzone et au français chausson, qui désignent aussi une feuille de pâte farcie et repliée sur elle-même : cf. la pizza calzone ou le chausson aux pommes. Les premières attestations littéraires de calisone possèdent déjà cette signification. A ce stade, nous sommes assez loin du calisson d’Aix.
De fait, ses origines doivent être recherchées en Perse sassanide. Dès la fin de l’Antiquité, le munificent royaume de Chosroès Anushirvan (531-579) est réputé pour l’excellence de sa gastronomie. C’est là que naissent notamment l’escabèche (du perse sikbaj), la pasta asciutta (lahksa : une tagliatelle servie en sauce) ou la pasta ripiena (joshparah, un ravioli). Les confiseurs et pâtissiers sont également très actifs et, en particulier, fans de "pâte d’amande".
Les recettes de leurs confections figurent dans la littérature culinaire arabe de l’époque abbasside (Bagdad, VIIIe – XIe siècles), notamment dans le Kitab al-Tabikh (Livre de cuisine) de Warrak (Xe siècle) et dans celui de Baghdadi (XIIIe siècle) :
le khushknanaj (du perse khuchk signifiant sec et nan : feuille de pâte) est farci avec de la pâte d’amande, plié en forme de demi-lune et frit ; c’est donc un chausson frit dit aussi rissole ;
le sambusaj (de sam = triangle en perse), un autre chausson, existe en version salée et sucrée. Parmi la dernière, un sambusaj fourré de pâte d’amande et frit, à l’instar du khushknanaj ;
le lauzinaj (du perse law amande) désigne aussi bien du massepain qu’un canapé nappé de pâte d’amande et arrosé de sirop. Selon l’orientaliste Maxime Rodinson, le lauzinaj a la forme de triangles voire losanges (qui tirent justement leur nom de lauzinaj). C’est manifestement l’ancêtre du calisson !
Il atterrit d’abord en Italie via les traités de diététique qui, contrairement aux livres de cuisine arabes, sont traduits en latin. Ainsi, le Minhaj al-bajan écrit par le médecin Ibn Gazla à Bagdad au XIe siècle est partiellement traduit en latin au XIIIe siècle sous le nom de Liber de ferculis par Jambolin de Crémone, de l’autre, le Taqwin al sihha d’Ibn Butlan, contemporain, confrère et compatriote d’Ibn Gazla est traduit sous le nom de Tacuinum sanitatis par Faragut (juif sicilien?) également au XIIIe siècle. Dans ces textes, lauzinaj n’est pas traduit, mais simplement retranscrit (cf. lauzinie chez Jambolin), tandis que calisone est utilisé pour traduire sambusaj (cf. chez Faragut). Ce qui est logique puisque c’est effectivement un chausson. Cependant, les auteurs culinaires qui écrivent en vernaculaire vont appeler le canapé au massepain (lauzinaj) : calisciono, italianisation du calisone latin. Ce qui est moins logique puisque ce n’est pas un chausson.
Une des plus anciennes recettes de calisciono est donnée par Maestro Martino (dans son Libro de arte culinaria XVe siècle) : « tu abaisseras de la pâte, ensuite tu la couvriras de massepain et la couperas en grands, moyens ou petits morceaux que tu feras cuire à la poêle ». Martino en propose une variante sous le nom de torta de marzapane : du massepain est posé sur des nevole (« nieules » en vieux français, du latin nebulae = nuages, c’est-à-dire du pain azyme) ; le tout est cuit au four. Il s’agit bien de notre calisson qui est maintenant fin prêt pour entamer sa carrière provençale.
A peine publié, le livre de Martino fait, en effet, l’objet d’une traduction en latin par Platine dans De honesta voluptate et valetudine (ed. princ. Rome 1473-5 et édité ensuite dans les grandes villes d’Occident) qui parle respectivement de canisione ou calisone et de torta quam marzapanem vocant. Quelques années plus tard, De honesta voluptate est traduit en français sous le titre : Platyne en françois (Lyon 1505) dont l’auteur est Desdier Chrispol, prieur du monastère de Saint-Maurice à Montpellier. D’une part, il francise calisone en « canision », de l’autre, il transpose torta de marzapane par « tartre de marsapan». Les recettes de Martino/Platine sont parfaitement respectées. La dernière se retrouve, en outre, dans le confiturier de Nostradamus, médecin originaire de Saint-Rémy-de-Provence. Le livre est édité en 1555 également à Lyon ; Nostradamus écrit à propos de la « tartre » : « vous en ferez de petits tourteaulx ou de petites tarteletes toutes rondes étendues sur des oublies (« nieules ») et pourrez faire de petites quadratures en cette forme sur lesdites oublies ». Et voilà notre calisson faisant son entrée officielle en Provence.
Selon une des légendes colportées par Google, le calisson aurait été servi lors du second mariage du roi de Provence, René d'Anjou, avec Jeanne de Laval en 1454 et viendrait du provençal Di calin soun (« Ce sont des câlins »). C’est ce qu’aurait dit Jeanne en les goûtant. S’il est possible que la reine ait prononcé ces paroles et même dégusté des calissons (René connaît bien l’Italie, puisqu’il a porté la couronne du royaume de Naples), l’étymologie proposée est par contre tout-à-fait abracadabrante…
Etonnez les pâtissiers-confiseurs qui vous présentent des calissons en vous exclamant : qu’ils sont câlins ! Vous ferez le buzz autour de vous !!!