Tripette en français, tripoux ou tripous en patois, ils sont une spécialité du Massif Central qui se décline du sud de la Limagne jusqu’aux Causses et même largement au-delà, en épousant les caractéristiques de leurs terroirs. A la base ils se composent de panse et de fraise de veau, de caillette de mouton, de pieds farcis de fines herbes, roulés dans du boyau et cousus ou ficelés. Plus de veau que de mouton dans ceux du Cantal et du Puy de Dôme (tripoux de Gersat), l’inverse en Aveyron, Lozère et Ségala. Particularité dans la région d’Espalion et de Laguiole où ils intègrent du travers de porc.
Difficile de pointer l’origine. Leur intimité avec l’aligot nous ferait regarder du côté des moines de l’Aubrac qui nourrissaient les pèlerins sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle avec ce plat.
Naturellement, chaque territoire veut s’attribuer la naissance du produit en faisant appel à la lexicologie. Les Trénels de Naucelle et de Millau seraient les authentiques, concurrencés par les Pépites de Laguiole et les Manouls de La Canourgue, les tripoux de Vic, d’Aurillac, les Rouloudou de Saint Flour, accommodés avec de la tomate. Ils auraient séduit la Reine Margot (rien que ça !) : un cuisinier reconnu affirme que celle-ci s’en délectait déjà lors de ses escapades à Vic sur Cère. La tripette fut donc aussi royale et cantalienne.
Bien entendu, de nobles caractères guerroient, verre et assiette à la main, pour maintenir haut l’oriflamme de leur passion gustative. Citons la Confrérie de la Pouteille* et du Manouls de La Canourgue, la Confrérie de la Pansette de Gersat, Les Maistres Taste Trenels de Millau qui depuis quelques années conjuguent leurs efforts pour promouvoir Le tripoux à travers l’autoroute A75, autoroute des Tripoux donc, qui se connecte à l’autoroute La Languedocienne qui devient La Catalane aux alentours de Narbonne. Ainsi se dessine un « Chemin de la Tripe » qui, de Clermont- Ferrand à Barcelone, se décline de maintes façons et mériterait sans doute quelque pèlerinage…
Un consensus : tout le monde s’accorde depuis des lustres sur les vertus réconfortantes et énergisantes de nos tripoux constituants de la « solitude des plats de fond », chère à un célèbre détective**. Cet usage attesté, bien que moins fréquent, se pratique toujours gaillardement dans nos campagnes.
Quelques souvenirs glanés ça et là se livrent …ces petits matins de fraicheur succédant à un bal endiablé où séduire n’était pas garanti, la fatigue certainement. Pour conclure une nuit sans sommeil et avant de partir pour la traite et les travaux des champs, il était bon de s’asseoir à la table de l’aubergiste avant le lever du soleil et de déguster ces tripoux mitonnés de longues heures, bien accompagnés de Marcillac ou de Côtes d’Auvergne. ***
Parfois, là où l’auberge manquait, la complicité du boulanger faisait merveille en les accueillant chaleureusement dans son four. L’aube était gourmande.
Que dire du réconfort qu’ils apportaient aux moissonneurs, les jours de batteuse, se reposant un moment de leur dur labeur, environnés de poussière et de têtes d’épis passant outre des cols de chemise les mieux fermés. Une tranche de pain épaisse, le tripou tiède déposé dessus, un petit bout de croûton pour le maintenir, il s’offrait sans défense aux « Laguiole »**** et autres
« Aurillacois »*****, se faisant découper proprement et sans faire d’histoire.
Fortifiants de l’amitié, ils ont toujours pignon sur rue lors des Fêtes patronales où leur cuisson dans les fours de villages, ranimés à cette occasion, voisine avec celle des pieds de cochon aux pois.
Aujourd’hui plus discrets, ils sont toujours prisés par les noctambules et autres pratiquants gourmands et contrairement à la locution péjorative à laquelle ils sont associés, « ils valent vraiment tripette ».
*spécialité de la Lozère, composée de pieds de porc, morceaux de bœuf, pommes de terre, un doigt de marc, longuement mijotée dans du vin rouge. (Gargantua, dit-on, s’en régala lors de son périple en Gévaudan).
** Manuel Vasquez Montalban « les recettes de Carvalho ».
*** « Ont i a de pan, de vianda e de vin, Lo rei i pôt venir » (Proverbe occitan) (Où il y a du pain, de la viande et du vin, le roi peut aller).
**** couteau paysan utilisé principalement en Aubrac.
***** couteau paysan utilisé dans le Cantal et une partie du Puy de Dôme. (ces couteaux traditionnels du Massif Central étaient et sont concurrencés par le Thiers et l’Opinel savoyard, tout deux de belle réputation).