Only lovers left alive

 

Les buveurs de sang 

Réalisateur : Jim Jarmusch  

Billet de Vincent Chenille.  

 

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Only lovers left alive n’est pas ce qu’on appelle un film de cuisinier (il n’y en a pas) et son sujet central n’est pas la gastronomie.

Pourtant, à travers cette histoire de vampires, le réalisateur tient un discours gastronomique. Il faut dire qu’il n’y a pas de bestialité dans ce couple de vampires ; au contraire, on y voit tout le raffinement des multiples siècles que l’homme et la femme ont parcourus et, surtout, un esprit contemplatif, dont l’activité principale est tournée vers l’art issu de la période romantique, celle de Byron, de Shelley et de Stoker, qui les a vus émerger.

Ils ne se jettent pas sur leurs proies pour les dévorer, non, ils ne sont pas brutaux. Ils dégustent le sang dans de la jolie vaisselle, appréciant la diversité des provenances. Leur raffinement les pousse à diversifier les produits sanguins et à les consommer, par exemple, en sorbet sous forme d’esquimau… Ils vont aussi faire leur marché, et c’est ce qui évite la violence. Pas de supermarchés du sang, mais des hôpitaux, où, la nuit, ils vont acheter quelques lots à des médecins complaisants. Mais voilà qu’un jour le sang se fait contaminer, l’hémoglobine de qualité se fait rare et l’un des vampires (un ami du couple) décède. Les suceurs de sang commencent à connaître la faim et, pour ne pas périr, ils sont obligés de recourir aux bonnes vieilles méthodes, celles de la barbarie, en plantant leurs canines dans le cou de victimes au corps sain.

Traditionnellement, les films de vampires sont liés à la sexualité. Dans les années 1950-1960, Christopher Lee traduit l’érotisme sous les traits du comte Dracula, alors que le film de Francis Ford Coppola, en 1992, parle du sang à l’époque du Sida.

Ce n’est pas le cas avec Only lovers left alive, bien qu’il parle de contamination du sang, car l’action se situe bien en 2013 : le personnage principal cite Youtube. Or, si le Sida constituait une nouveauté en 1992, l’épidémie n’est pas apparue en 2013.

Paradoxalement, Jim Jarmusch traite du sang comme d’un produit culturel (pourtant quoi de plus naturel que le sang ?) et c’est ce qui établit le lien entre cette histoire de vampire et la gastronomie. On peut, sans trahir, établir un parallèle entre les lots sanguins achetés à l’hôpital dans leur emballage métallique et les barquettes de l’industrie alimentaire achetées chez un traiteur ou au supermarché. Pourtant le propos du film ne vise pas uniquement l’industrie alimentaire comme bien culturel. L’allusion à Youtube n’est pas innocente. Le vampire principal de l’histoire est un compositeur qui entend pratiquer l’art pour l’art et se méfie de la célébrité et des produits commerciaux. En cela le vampire se distingue du zombie, consommateur de la musique que l’on trouve sur Youtube. Or le zombie, créé sous la plume de Richard Matheson, naît d’une épidémie, d’une contamination. Le film parle d’une épidémie culturelle, à laquelle l’auteur de musique (et le réalisateur du film) résiste. Les produits de l’industrie alimentaire sont désignés comme ceux de l’industrie musicale et audiovisuelle. Le plus intéressant est de noter que deux films américains récents mettent en cause l’industrie agro-alimentaire : L’île des Miam-nimaux parlant d’Apple et Only lovers left alive, de Youtube, deux films qui, pourtant, dans le paysage cinématographique, n’ont pas grand-chose en commun. Le Jim Jarmusch est un film d’auteur destiné à des adultes, alors que L’île des Miam-nimaux est un dessin animé destiné avant tout aux enfants et produit par une multinationale.