Compte rendu de la 9ème séance du séminaire de recherche du CHCSC « Médias et médiations de la gastronomie (XVIIème-XXIème siècles) »
Billet de Bénédicte Cartelier.
Cette avant-dernière séance du séminaire 2013-2014 du CHCSC* consacré aux différentes formes de médiations de la gastronomie, des livres et imprimés à Internet, en passant par la publicité, la radio, la télévision, les arts, etc. s’est déroulée à la bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, le 6 mai dernier.
J’y ai assisté et je ne l’ai pas regretté ! Toutefois, je demeure toujours étonnée de constater la relative faiblesse numérique de l’assistance au regard de la richesse des contenus présentés. Cela vaut pour ce séminaire mais aussi pour celui de l’EHESS sur la culture matérielle médiévale. C’est un peu « donner des perles aux pourceaux » ! Je vais donc essayer de vous en restituer quelques-unes et surtout de vous donner envie d’aller voir sur place.
Dans un premier temps, la directrice adjointe de la bibliothèque, Mme Ève Netchine, a retracé brièvement l’histoire de la bibliothèque de l’Arsenal. A l’origine, Antoine-René de Voyer d’Argenson, marquis de Paulmy, diplomate et ministre au siècle des Lumières et surtout grand bibliophile décide de créer dans son hôtel particulier une bibliothèque universelle comprenant non seulement des livres mais aussi des estampes, monnaies, médailles, instruments scientifiques et même une ménagerie (collection d’animaux empaillés) dont on vient seulement de découvrir l’existence, soit au total 60 000 documents à la mort du marquis en 1787** . La gastronomie n’est évidemment pas exclue mais à l’époque, les ouvrages qui en traitent étaient classés parmi les ouvrages de médecine et de diététique ou plus rarement d’histoire naturelle. Paulmy fait œuvre de novateur en les classant dans la section Chimie des Sciences et arts. Mais Paulmy ne se contente pas de collectionner, il est aussi l’instigateur de la première Histoire de la vie privée des Français qu’il confie à plusieurs bibliothécaires. Seule la partie consacrée à l’alimentation, rédigée par l’ancien jésuite Le Grand d’Aussy, sera achevée et publiée en 1782 mais au prix d’une brouille définitive entre les deux hommes.
Puis, Mme Netchine nous a montré plusieurs ouvrages qu’elle avait sélectionnés à notre intention, trésors sans prix qu’elle maniait sans gants et avec une certaine désinvolture (plusieurs volumes sont même tombés du chariot dans lequel ils étaient entreposés…), nous invitant à les toucher.
« Rien ne vaut le contact avec le papier » a-t-elle dit. Certes !
Certains d'entre eux m’ont particulièrement marquée :
- le Roti-cochon ou Méthode très facile pour bien apprendre les enfants à lire en latin et en français (exemplaire du 17ème siècle). Petit volume publié à Dijon à la fin du 16ème siècle fort modeste d’apparence mais très joliment illustré de bois gravés, dont le contenu s’avère parfaitement limpide et lisible. Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un manuel d’apprentissage de la lecture qui emprunte la majorité de ses exemples au registre de l’alimentation. On peut ainsi lire : « Les prunes de Damas sont bonnes à manger pour ceux qui les aiment », « Œufs frais, poisson rôti et harengs salés, sont pour le Carême et autres jours de l’année, soit maigres ou gras, et selon l’appétit ou le bon marché » ou encore « Le jambon de pourceau bien Mayencé, est bon à manger non pas sans boire », « Le chapon bouilli est bon pour ceux qui n’ont point de dents en gueule » et enfin la meilleure : « Les tartes et flans sont plus aisés à manger qu’à servir sur table, d’autant qu’il n’y a point d’os » ! Il n’existe qu’un seul exemplaire connu de l’original qui est conservé à l'Arsenal.
- le catalogue de la bibliothèque, annoté de la main du marquis de Paulmy ;
- le manuscrit autographe de Le Grand d’Aussy, avec des commentaires savoureux du marquis de Paulmy ; - le Gazetin du comestible (pas l’original, rarissime, mais une édition plus tardive) ;
- la bibliographie gastronomique de Georges Vicaire, conservateur surnuméraire à l’Arsenal (1890) ;
- un recueil d'eaux fortes d’Abraham Bosse ;
- les menus manuscrits des repas de Sade à Vincennes ;
- une collection de menus du restaurant Drouant, etc.
Après cette très riche présentation, Patrick Rambourg nous a livré en primeur les résultats de la recherche qu’il a menée sur la série de menus du restaurant « Chez Mercier » conservés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BHVP). Ce restaurant était situé 13, rue Lincoln à Paris dans le 8ème arrondissement sur les Champs-Elysées (un salon de thé Ladurée occupe aujourd’hui les lieux) et possédait une succursale dans le 16ème arrondissement (38, rue Pergolèse). Le fonds de la BHVP comporte 30 menus qui couvrent cinq décennies (de 1933 à 1971). Je n’ai pas grand-chose à dire de cette conférence qui ne m’a guère enthousiasmée. C’est dommage car la matière est riche et mériterait sans doute des recherches plus approfondies.
En conclusion, Patrick Rambourg a présenté son livre A table…le menu !(***) (très confus) et a rappelé qu’il avait commenté 16 menus pour le magazine Télérama en 2013 (sa contribution est toujours disponible sur le site Internet du journal).
Je ne peux que vous inviter à aller y jeter un œil, c’est intéressant. On y découvre notamment :
- deux menus datés de 1910 à l’opposé l’un de l’autre : le menu du déjeuner donné le 14 juillet pour la réception du roi des Belges à l’Élysée (avec des ortolans à la Lucullus, des poulardes du Mans truffées et un parfait de foie gras au Marsala…) et celui du bouillon Maubert, alors situé 104, rue de Richelieu dans le 2ème arrondissement (remplacé aujourd’hui par un immeuble moderne), où on pouvait déguster une raie au beurre noir, un haricot de mouton et une « compote de pommes de la maison » ;
- le menu de gala à bord du Queen Mary servi le 14 mai 1960 dans lequel bon nombre de plats figurent en français, ce qui témoigne du rayonnement de la gastronomie française à l’étranger jusqu’au milieu des années 1980. Y figurait néanmoins une « tortue claire au Xérès » dans la plus pure tradition anglaise ;
- le menu du restaurant Troigros à Roanne de la fin des années 1970 avec évidemment « l’escalope de saumon à l’oseille Troigros » ;
- enfin, le menu dégustation du restaurant elBulli de Ferran Adrià du 12 juillet 2004 qui ne comportait pas moins de vingt-six plats.
Enfin, pour la bonne bouche, je me permets de vous signaler un article fort bien nourri de Patrick Rambourg sur le site de la bibliothèque municipale de Dijon (http://patrimoine.bm-dijon.fr/pleade), intitulé Le menu du Moyen Age au XXème siècle : témoin de l’histoire de la gastronomie. C’est à mon avis une très bonne introduction en la matière qui fourmille d’informations et de citations très précises.
*/ Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, laboratoire de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
**/ Peu avant sa mort, le marquis de Paulmy vendit sa bibliothèque au comte d’Artois.
***/ A table…le menu ! Éditions Honoré Champion, Paris, 2013.