La table dans la culture visuelle
Billet de Marie-Claude Maddaloni.
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Banquet donné par Charles V, roi de France,
à Charles IV, empereur germanique
Séminaire de l’INHA (Institut national d’histoire de l’art)
« Pour une histoire de l’art et de la table »
4 intervenants pour nous parler de la table et sa décoration.
Philippe Bon (conservateur du Musée Charles VII, Mehun-sur-Yèvre -18) : « La table médiévale » Avant d’aborder le cœur de son exposé consacré au banquet donné par Charles V, roi de France, à Charles IV, empereur germanique et au futur Wenceslas Ier, duc de Luxembourg, en janvier 1378, Philippe Bon rappelle que, déjà au Moyen Age, les hôtes rivalisaient d’inventivité pour offrir une belle table : « Savoir dresser et magnifier ». Pourtant, sur les iconographies médiévales, la table paraît simplifiée, presque vide. Philippe Bon l’explique par le choix des miniaturistes de représenter la scène au début du repas, juste avant l’arrivée des plats, en mettant en valeur une fine nappe blanche immaculée.
Pour représenter le banquet royal de 1378, Jean Fouquet choisit plutôt, dans son enluminure (vers1460), un moment « entre-les-mets » où les convives assistent à un spectacle de théâtre. Une pause dans une journée à table avec 3 séries de 30 plats. Dans les Grandes heures de Jean de Berry (1409), dans l’enluminure Les Noces de Cana, sur une table presque vide, c’est le vin qui domine. Autre élément essentiel du décor : le dressoir qui a surtout une valeur ostentatoire. Sur ce dressoir, de grands pichets en étain, en argent… en réalité des objets souvent loués pour l’occasion. Parmi ces objets d’apparat, Philippe Bon met l’accent, en particulier, sur la nef de table, pièce d’orfèvrerie en forme de navire, qui traversera les siècles comme symbole de prestige de la table de banquet.
Michaël Decrossas (INHA) : « Les recueils d’ornement, modèles pour la table française dans la première moitié du XVIIIème siècle. » Vers 1700 apparaît « l’Art rocaille » qui sera très en vogue pendant la première moitié du siècle. Les recueils d’ornement qui illustrent cet art à la mode doivent offrir aux artistes et aux artisans des sources d’inspiration dans tous les domaines. Ces modèles, bien que plutôt abstraits, influencent également la vaisselle aristocratique. Par des idées de forme comme les « fantaisies, cartouches, ornements, échantillons… » ou même en proposant des modèles de surtout de table, de terrine… ces recueils marquent fortement un art de la table style rocaille qu’illustre le célèbre service Penthièvre-Orléans (Musée du Louvre). Ces recueils français inspireront toute l’Europe.
Frédérique Desbuissons (INHA) : « Imagerie de la table et popularisation de la gastronomie en France au XIXe siècle » Frédérique Desbuissons a pour sujet de recherche la gastronomie dans sa dimension visuelle au XIXe siècle, siècle où l’imagerie connaît un très grand développement. Cette imagerie n’est pas bien sûr à proprement parler une documentation au premier degré mais elle donne des modèles de comportement. L’imagerie de table est avant tout urbaine et bourgeoise. Les manuels destinés à la cuisinière bourgeoise se démocratisent. On y apprend la découpe des poissons, des viandes, mais aussi différents modèles de présentation de table. Les imageries d’Epinal forment les enfants, par des découpages, au cadre de la salle à manger. De nombreuses publications se multiplient pour former les maîtresses de maison.
La caricature n’est pas en reste. Frédérique Desbuissons montre l’exemple de la couverture du journal Le Grelot du 21 mai 1871. Une caricature de Bertall, Paris à table, représentant Paris en « Mme Lutèce » avec cette légende :
Quelle fourchette !
Garçon ! encore 2 ou 3 généraux maître d’hôtel
Nous n’en avons plus
Eh bien, alors, une douzaine de colonels en mayonnaise…
Le mangeur en scène est une image, caricaturée ou pas, reprise de nombreuses fois par Grimod de la Reynière, Corcellet…L’image du repas d’artiste aussi. Celle des grands boulevards parisiens, « le Boulevard », devient, elle, représentative de l’image du spectacle de la table : « Dînent ceux qui font prévaloir la chère. Mangent, ceux qui la font servir à d’autres desseins, principalement à celui d’apparaître » (Jean-Paul Aron). La caricature de Grandville, l’agrément d’un salon de cent couverts (dans Les dimanches d’un bourgeois de Paris, Guy de Maupassant, 1826), en est, pour Frédérique Desbuissons, un bel exemple.
Pierre Provoyeur (conservateur général honoraire, directeur de FRAME pour la France) Un projet d’exposition auquel participe Pierre Provoyeur est en cours d’élaboration sur le thème des arts de la table entre France, États-Unis, Canada. Une association s’est formée, réunissant des spécialistes de ces trois pays.
Un des traits d’union les plus spectaculaires dans ce domaine pour Pierre Convoyeur, c’est le paquebot Normandie, symbole du luxe des années 30. La salle à manger des 1ères classes conçue par Pierre Patout offre un décor exceptionnel à la représentation théâtrale du repas. La recherche de l’intimité par le choix de petites tables (de 2 à 4 personnes) contraste avec la monumentalité du lieu. De la vaisselle, hélas, il ne reste que peu de choses au musée des Arts décoratifs, quand on sait que 50 000 pièces furent commandées à la société Daum et 40 000 à la société Christofle par la Compagnie générale transatlantique.