L’alimentation en France
pendant la Grande Guerre
Auteur : Silvano Serventi
Editions Sud Ouest, 2014
Billet de Bernard Lafon
Parmi les grandes batailles de 14-18, celle de l’estomac ne fut pas la moins importante. Souterraine et lancinante, elle attaquait et contre-attaquait tous les jours, au front comme à l’arrière. Il fallait, pour les uns, se nourrir pour se battre et se battre pour se nourrir, se débrouiller et faire avec pour les autres, soi-disant les moins exposés, quoique dans les zones occupées par les forces ennemies, la vie quotidienne ressemblait fort à celle de nos poilus.
Semblables au légionnaire d’Auguste au temps de la Pax Romana, les soldats emportaient au début du conflit le casse-croûte pour 2 jours. Très vite, la guerre de position amena l’adoption d’une révolution technique (déjà en usage de l’autre côté du Rhin) : la roulante. Cuisine de proximité, elle permettait un (très) relatif équilibre des repas que de courageux combattants de l’ombre « les ravitailleurs » portaient au péril de leur vie à leurs copains restés en première ligne. On découvre une intendance très organisée, capable de fournir des millions de repas quotidiens, y compris des repas hallal aux nombreuses troupes coloniales dont la grande majorité était de confession musulmane.
Bien sûr, il y avait la table des officiers, la table des beaux quartiers parisiens, à cent lieues souvent de l’ordinaire des sans-grades, choquante pour beaucoup. Difficile d’abandonner ses habitudes quand on est de la « Haute » disaient certains. Heureusement, à l’arrière, la table des paysans maintenait une « solidarité alimentaire » en assurant une continuité dans la frugalité avec celle des gars de l’avant.
On invente des recettes, on établit des menus, on chasse entre deux offensives, on « mange une bouchée » parmi les cadavres déchiquetés par les obus que l’on ne peut ensevelir, on met au point des procédés de conservation qui feront la notoriété et la fortune de certains (les sardines le Connétable, les pâtés Hénaff par exemple). Soulignons le rôle majeur de la congélation qui, à travers les bateaux frigorifiques, principalement anglais et américains, assurera la continuité de l’approvisionnement en viande des armées et du pays.
Toutefois, puisque « à quelque chose malheur est bon » dans ce monde de sang et de douleur, beaucoup découvrent d’autres aliments : le vin pour les bretons, les fromages de pays, le camembert, les richesses des régions de France à travers les colis des compagnons de misère partagés et dégustés avec gourmandise. La guerre a ouvert un nouvel horizon culinaire et bouleversé les pratiques alimentaires des campagnes. L’auteur, avec une écriture concise et une parole engagée, nous apprend beaucoup de choses sur le quotidien des consommateurs, militaires ou non.
Impossible de conclure le propos sans évoquer le Père Pinard, pour lequel on mit au point le wagon citerne et qui reçut moult hommages durant le conflit. Certes on buvait sec : officiellement ½ litre de rouge par jour et par homme, mais on pouvait « cantiner » la gnole, sans trop compter lors des moments « chauds ». Malgré tout, le problème majeur n’était pas de contenir l’ivresse, c’était celui de l’approvisionnement en eau*, autre souffrance qui s’additionnait aux autres.
Le livre refermé, on se surprend à murmurer le refrain de la Chanson de Craonne :
"Adieu la vie, Adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme. …"
A lire pour son regard original et sans concession.
*« Salut Pinard de l’Intendance, qu’as l’ « goût d’trop peu » ou l’ « goût de rin »…tu vaux pas mieux qu’ta sœur la gnole qu’les Riz-Pain-Sel, is vous mélangent avec l’eau d’eun’mare à canards…Mais qué fair ?...la soéf nous démange…
(L’Ode au pinard, Marc Leclerc, du 71eme R.I.T.Septembre 1916. Pour l’intégralité, avec orthographe rectifiée, voir : www.cepdivin.org).