Mélanges cinéma

Rover, de l’australien David Michôd,

Under the skin, réalisé par le britannique Jonathan Glazer.  

"On a failli être amies"

comédie d’Anne Le Ny


Après un printemps végétarien au cinéma, l’été fut aux antipodes.

Du côté anglo-saxon, nous avons flirté avec les nourritures interdites dans le film de science-fiction Rover, de l’australien David Michôd, et dans le film fantastique Under the skin, réalisé par le britannique Jonathan Glazer.

Rover décrit un futur proche où toute production économique s’est arrêtée pour cause de faillite financière. La population vit donc sur ses réserves. Elle s’alimente principalement de boîtes de conserves, quand il y en a… Avoir de l’essence et une voiture est plus important, car c’est la condition pour gagner un lieu où l’on trouve encore de quoi vivre. Nous sommes dans une économie davantage du saltus que de l’ager, de la cueillette à défaut d’agriculture. C’est pourquoi le plus simple est de se nourrir de tout ce qui passe à proximité, c’est-à-dire de chiens dans ce coin d’Australie.

Under the skin raconte l’arrivée d’extraterrestres en Ecosse. L’une d’entre elles souhaitera vivre parmi les humains, mais cela s’avérera impossible quant à la sexualité et à l’alimentation. Dans une scène mémorable, l’extraterrestre met trente secondes pour essayer d’introduire un gâteau au chocolat dans sa bouche à cause de son appréhension. Pour finir par le recracher aussitôt. Le choix alimentaire est bien ciblé, car rares sont les personnes qui n’aiment pas le chocolat. Que mangent-ils donc ces extraterrestres ? Le livre dont est adapté le film est sans ambiguïté : ils mangent de la chair humaine. Le film reste en pointillé sur le sujet : on aperçoit l’extraterrestre absorber un humain. Compte tenu du fait que l’extraterrestre est généralement une figure de l’étranger, Under the skin révèle un pessimisme quant à l’intégration de certains étrangers, puisque même ceux qui la souhaitent n’y parviennent pas. L’obstacle à cette assimilation est d’ordre naturel pour l’extraterrestre, puisque sa physiologie est incompatible, mais, au sens figuré, la sexualité et l’alimentation ont une valeur culturelle. La force du genre fantastique est de montrer comment cet obstacle culturel, et donc capable d’évolution, peut devenir naturel et donc insurmontable.

Moins de fatalisme du côté français avec On a failli être amies, la comédie d’Anne Le Ny.

La réalisatrice utilise la cuisine de deux façons : comme substitut sexuel et avec un discours de classe. Le substitut sexuel est très classique : la jouissance gastronomique y fait figure d’orgasme. Le géniteur est un cuisinier, Sam. Sa femme, Carole, se détache de lui, et ceci est signifié par le fait qu’elle n’apprécie plus sa cuisine « trop acide » ou « pas mal ». A l’opposé, Marithé, chargée de formation professionnelle, jouit de tout ce qu’il cuisine. Elle cherchera donc à piquer son mec à Carole. Un schéma très conventionnel, qui offre la possibilité d’éviter les scènes de lit pour montrer la relation sexuelle entre les personnages. En revanche, le point de vue social développe un discours gastronomique plus contemporain. La réalisatrice prend parti pour que la grande cuisine soit accessible au plus grand nombre. Cela se traduit par un changement de femme pour le cuisinier. Carole, la première, est une oisive et passerait ses journées au country club. Elle est l’hôtesse du « Moulin blanc », restaurant étoilé en dehors de la ville et pratiquant des prix astronomiques. On y goûte une cuisine expérimentale. L’autre femme, Marithé, vit dans le quotidien. Elle s’efforce de recaser des ouvrières licenciées d’une usine de jouets. Avec elle, le cuisinier tiendra un restaurant en centre-ville, avec une cuisine plus conventionnelle (ris de veau, tapas) et donc moins onéreuse, mais aussi bonne. Ceci sous-entend qu’il existe une cuisine populaire pas bonne, mais, dans le film, elle reste en filigrane. La réalisatrice nous la montre brièvement : elle n’entend visiblement pas l’attaquer frontalement. Au moment où Marithé va faire une scène à son amour de cuisinier, qui a licencié une femme qu’elle avait fait engager, elle se bourre de marshmallows. C’est une erreur, alimentaire et sur la personne, car Sam n’a pas licencié l’employée (il y a eu une séparation à l’amiable). Le problème avec ce discours social c’est que l’on a du mal à croire qu’une femme qui travaille, qui a été mariée (qui touche probablement une pension alimentaire, car elle a divorcé d’un mari aisé) et dont le fils est suffisamment grand pour avoir une bourse du Massachusetts Institute of Technology, puisse être gênée pour s’offrir un repas au « Moulin blanc » une fois dans l’année. Le point de vue classique de la cuisine se substituant à l’acte sexuel est en revanche bien traité. Du coup, c’est ce point de vue, conventionnel, que l’on retient du film.