Une histoire méditerranéenne de confiserie
Auteur : Marie Josèphe Moncorgé
Tambao éditeur, 2014, 203 pages
Billet de Liliane Plouvier
Marie Josèphe Moncorgé dirige un excellent site internet dédié à l’histoire de la cuisine (www.oldcook.com) et a, de surcroît, consacré plusieurs ouvrages numériques voire imprimés à celle-ci. Aujourd’hui elle nous propose une étude sur le nougat, parue une première fois sous forme d’e-book en 2013. Vu son succès, l’auteure a décidé de la présenter en version papier.
Elle nous entraîne dans un passionnant voyage à travers le temps et l’espace qu’elle présente sous la forme d’un jeu de piste. L’histoire du nougat débute à l’époque gréco-romaine. Les traités médicaux proposent différentes formules à base de miel et de fruits secs pilés ou entiers : principalement amandes et pignons, considérés comme béchiques c’est-à-dire soignant la toux. Ces ancêtres non seulement du nougat mais aussi du massepain sont rangés parmi les médicaments à lécher appelés ecleigmata en grec et electuaria en latin. Ils sont par définition destinés à soigner les affections des voies respiratoires. Durant le haut Moyen Âge, les pharmaciens arabes stimulés respectivement par les califes abbassides de Bagdad et omeyyades de Cordoue les reprennent et peaufinent ; ils les traduisent par la’uqat (du verbe la’aqa = lécher). Cependant, ces confections à la fois gourmandes et médicamenteuses entrent parallèlement dans l’office tout en étant retoilettées et en recevant une autre appellation. En Orient, elles sont baptisées natif-s. Celles de Harran, actuellement en Turquie, sont faites avec du blanc d’œuf mêlé à des amandes ou pignons voire noix ou noisettes et inaugurent les nougats blancs. Warrak (Xe siècle) en donne la recette dans son Kitab al-tabikh (livre de cuisine). En Occident (al-Andalous) la littérature culinaire des XIIe et XIIIe siècles parle de ma’qud voire faludaj.
Les confiseries pharmaceutiques arabes font leur entrée dans l’Occident latin via la voie médicale. Les médecins-traducteurs attachés à l’école de Salerne (XIe siècle) et à celle de Tolède (XIIe siècle), soit latinisent le terme scientifique arabe la’uq sous forme de looch, soit conservent les noms gréco-latins. Au bas Moyen Âge elles pénètrent à la fois dans l’office (sans quitter pour autant l’officine) et les langues vernaculaires. Marie Josèphe Moncorgé en fait une étude comparée fouillée. Dès le XIVe siècle, le Llibre de totes maneres de confits catalan décrit des turron (du latin torrere = griller, dessécher) et pinyonat ou pinyonada ; ils désignent respectivement un nougat blanc aux noisettes et des nougats aux pignons aussi bien blancs que noirs (sans blancs d’œuf). Ceux-ci sont également attestés dans le Languedoc et en Italie : le
« pinhonat » apparaît dans la littérature occitane également au XIVe siècle, tandis que le pignocati/pignochati italien n’est mentionné qu’à la fin du XVe siècle dans un livre de cuisine napolitain. Nostradamus en donne une recette dans son Confiturier paru à Lyon en 1555. Le célèbre médecin astrologue affirme qu’il vient d’Italie (et non de Catalogne…). Quant au torrone italien et au « torron » franco-catalan, le premier est cité dans un texte crémonais de 1544 et le second dans le Thresor de santé (1607).
Cependant, d’autres appellations sont utilisées en Italie et en France : le nucato, un nougat noir aux noix, figure dans un traité de cuisine toscan du XIVe siècle. Nucato est à l’origine du provençal nugo, de l’italien moderne nociata et du français nougat. Celui-ci serait mentionné pour la première fois dans un ouvrage pharmaceutique édité à Lyon en 1595, puis dans le susdit Thresor de santé en même temps que le « torron » ; les « nogats&torrons » ne sont pas faits aux noix mais aux amandes (et au miel). Le texte précise que ce sont des spécialités du Languedoc et de la Provence.
En Italie, le nougat aux amandes s’appelle mandorlato qui aurait été la douceur préférée du doge de Venise (vers 1500). Enfin, la copeta, qui désigne aussi bien des nougats noirs que blancs figure dans le texte crémonais cité de 1544. Il dérive de l’arabe qubbayt mentionné dans les livres de cuisine andalousiens. La nature du qubbayt est plus ambiguë ; c’est une préparation à base de sucre/miel et de blancs d’œuf mais l’auteur (surnommé l’Anonyme andalou, XIIe siècle) ne cite aucun fruit sec. On ne peut toutefois en tirer aucune conclusion pertinente car le manuscrit en question est défectueux.
L’étude de Marie Josèphe Moncorgé ne s’arrête en si bon chemin. Elle examine non seulement les différentes recettes modernes mais poursuit ses recherches au-delà des Balkans : elle nous entraîne de Turquie jusqu’en Extrême Orient via les pays du Maghreb et du Machrek …
Cette étude particulièrement instructive et appétissante mettra sans aucun doute l’eau à la bouche de tous amateurs de nougat et de bonne chère.
Elle est en vente directe chez l'éditeur : http://www.tambao.fr/pages-nougat