Histoire et civilisation de l’aliment fermenté
Auteur : Marie-Claire Frédéric
Editeur : Alma éditeur, 2014
Billet de Bénédicte Cartelier
L’auteur est une journaliste culinaire (Cuisine Actuelle, Gala Gourmand) auteure de plusieurs livres de cuisine parmi lesquels Cuisine Bling Bling (First, 2008). Elle tient également un blog généraliste (www.dumieletdusel.com) dans lequel elle livre de nombreuses recettes et conseils et un blog spécialisé dans les aliments fermentés (www.nicrunicuit.com) qui est à la fois à l’origine du livre Ni cru, ni cuit, et son prolongement.
L’ouvrage de Marie-Claire Frédéric Ni cru, ni cuit. Histoire et civilisation de l’aliment fermenté, est une véritable somme sur la question. Dans la première partie, l’auteur revient sur l’origine de notre alimentation et entend démontrer l’antériorité de la fermentation sur la cuisson et sa supériorité sur tout autre mode de conservation des aliments. En outre, c’est la fermentation qui serait à l’origine du passage de la sédentarisation au néolithique. Ferment de société, ferment de culture mais aussi ferment d’humanité : partout en tout temps, la consommation d’aliments fermentés est le signe de l’appartenance à l’humanité. Pour cela, Marie-Claire Frédéric s’appuie sur une documentation solide tirée des meilleures sources ainsi qu’en témoigne une bibliographie abondante, peu usuelle dans ce type d’ouvrage. Aussi bien s’agit-il autant d’un ouvrage d’anthropologie que de gastronomie.
Plus concrète, la deuxième partie de l’ouvrage, découpée en six chapitres, décrit l’histoire des aliments fermentés par grandes catégories : les viandes, les poissons, les boissons, les céréales, les produits laitiers, les légumes et les fruits. C’est à mon avis la partie la plus intéressante, où l’on apprend notamment que le corned-beef est à l’origine du bœuf salé et fermenté apporté aux Etats-Unis au XIXème siècle par les colons irlandais avant de revenir en Europe sous la forme de la boîte de conserve trapézoïdale qui fut longtemps l’ordinaire des soldats, des détenus et des familles modestes. Des recettes du monde entier ponctuent agréablement le propos, telles celles du gravlax (littéralement « saumon enterré ») scandinave, de l’hydromel éthiopien, du porridge écossais, de la caillebotte vendéenne citée par Rabelais ou encore du kimchi (chou fermenté) coréen que j’ai eu l’occasion de goûter in situ… et que je ne recommanderais pas aux palais délicats !
La troisième partie revient sur l’origine du processus de fermentation et sa définition scientifique : « Un aliment fermenté est (…) un aliment qui a été transformé par des micro-organismes : bactéries, levures, moisissures, champignons. ». On distingue ainsi différentes fermentations parmi lesquelles le faisandage, la fermentation lactique (les yaourts mais aussi la choucroute ou le saucisson !), la fermentation alcoolique, la fermentation acétique (le vinaigre), la fermentation malolactique (le vin), la pourriture noble, la fermentation propionique (le comté, le gruyère ou l’emmental) et enfin, la fermentation butyrique (responsable du goût rance du beurre). Au-delà de ces aspects scientifiques, l’auteur souhaite surtout promouvoir les aliments fermentés qui seraient d’après elle les meilleurs atouts pour notre santé. Bien plus, elle n’hésite pas à dénoncer « l’inflexible pasteurisation du monde » qui serait liée à notre peur des microbes. Ainsi, la pasteurisation à l’œuvre dans nos sociétés depuis le XIXème siècle irait de pair avec le puritanisme au nom d’une prétendue pureté originelle. Pour autant, tout n’est pas noir et le dernier chapitre du livre, intitulé « L’irrésistible revival du fermenté », décrit les premiers indices d’un revirement en faveur des aliments fermentés : le retour au terroir, la promotion de l’umami par l’industrie elle-même, la bataille en faveur des fromages au lait cru, etc.
Au total, l’ouvrage de Marie-Claude Frédéric est savant, instructif, parfois un peu abscons mais suffisamment bien construit pour que chacun puisse y trouver son bonheur. Ce n’est pas un livre que l’on lit d’un bout à l’autre mais auquel on peut se référer grâce à un appareil critique bien conçu. On regrettera toutefois l’absence d’index de même que le manque de recul de l’auteur par rapport à son sujet : non la fermentation n’est pas l’alpha et l’oméga de l’alimentation !