Les clandestins
Réalisateur: Sung Bo Shim
Billet de Vincent Chenille
Sea fog parle aussi à sa manière des origines de la cuisine, bien que l’action se situe en 1998, en Corée.
Car elle distingue la cuisine de l’alimentation et des pratiques archaïques liées à l’alimentation. Il s’agit d’un bateau de pêche avec son équipage.
Et le film nous montre l’ordinaire de l’alimentation de cet équipage avec le pademan, sans plus de commentaire. Mais il nous montre aussi des rituels anciens, religieux, sacrificiels. C’est le capitaine du bateau, (Kang Chul-joo), qui les pratique dans sa cabine, étalant cinq ou six plateaux différents.
Les aliments sont sacrifiés et consommés dans le cadre d’une prière destinée à apporter la prospérité : que la pêche soit fructueuse. C’est le profit de sa petite communauté maritime qui l’intéresse. Il n’hésitera pas à renoncer à une pêche abondante parce que l’un de ses marins s’est pris les pieds dans le filet et risque d’être broyé.
Mais il n’hésitera pas non plus à sacrifier aux requins tout un chargement d’immigrés chinois. Car pour compenser la perte de son revenu de pêche il a accepté de transporter des immigrés chinois souhaitant venir travailler en Corée. Ces travailleurs périront à la suite d’une fuite de gaz. Pour ne pas rester avec des morts sur les bras, le capitaine décidera donc de les découper de la même façon que les poissons pêchés et de les donner en pâture aux requins.
Le film se situe au moment de la crise financière asiatique de 1998. Les économies des « dragons » émergents dépendent pour se financer des capitaux étrangers. Ceux-ci se sont brutalement retirés en 1998, créant de lourds problèmes de trésorerie. Le film fait donc un parallèle entre les sacrifices religieux archaïques et ceux exigés par la mondialisation financière.
Mais il y a un troisième comportement alimentaire qui se distingue de la nourriture et de l’holocauste, c’est la gastronomie. Un des marins de l’équipage, Dong-sik, discute de la différence entre le pademan coréen et le chinois avec une clandestine, le chinois étant plus pimenté. A l’écart, il lui prépare un plat, le ramen. Ce troisième comportement alimentaire est dicté par l’amour. La jeune Chinoise était tombée à l’eau au moment de l’embarquement des migrants. Au péril de sa vie, le marin avait plongé, car la Chinoise l’avait ému. Par la suite, Dong-sik se révoltera contre la pratique sacrificielle de son capitaine. Il fait preuve d’humanité, mais ce regard envers les autres est dû à l’effet produit par l’autre sexe.
Ici ce n’est pas tant la gastronomie qui signifie l’humanité, les autres marins n’ont pas l’air de manger de mauvais plats. Mais c’est le discours gastronomique, le souci de partager un plat qui en est la manifestation.