Lamb
Réalisateur: d’Yared Zeleke
Film éthiopien,
Billet de Vincent Chenille
Lamb suit le parcours affectif et initiatique du jeune Ephraïm. Alors que l’enfant vient de perdre sa mère lors d’une sécheresse, son père le laisse en garde chez des cousins pour aller de son côté à la ville, gagner de l’argent et attendre que la pluie revienne, car il est paysan. Ephraïm a du mal à faire le deuil de sa mère. A plusieurs reprises, il tente de fuir de chez ses cousins pour retourner « chez eux », même si la terre ne nourrit plus son homme. Son attachement se traduit aussi par une brebis, qu’il emmène avec lui chez ses cousins, et qui est son seul lien affectif (il la tient sans arrêt en laisse comme un cordon ombilical) et par la cuisine, qu’il fait aussi bien que sa mère.
Cela lui vaut l’opprobre des hommes pour qui la cuisine est une activité de femme, même s’ils reconnaissent qu’Ephraïm la fait bien. Ils le destinent plutôt au labourage, mais Ephraïm a du mal à fouetter les bœufs. Les fêtes de la Croix approchant, ils décident que le moment sera venu pour lui d’égorger le mouton, ou plutôt la brebis. Impossible pour Ephraïm qui décide d’acheter le ticket de retour en car pour lui et sa brebis, en cuisinant des samoussas et en les vendant sur le marché. Il aura tout juste le temps et l’argent de confier sa brebis à une bergère, pour éviter que la bête ne soit égorgée. Découvrant l’argent qu’il a accumulé, sa tutrice le giflera, car sa jeune cousine (elle n’a que quelques mois) est en train de mourir de dénutrition (même si la région est moins touchée par la sécheresse). Ephraïm a préféré sa brebis à sa cousine. C’est sa brebis qui l’humanisera. Voulant fuir sa famille avec elle, il constatera que la brebis ne veut plus retourner au pays, car là, elle a une prairie verte. Avec son argent, Ephraïm achètera donc des légumes, des courges, ainsi qu’un gigot pour sa cousine. L’accomplissement initiatique interviendra lors des ripailles, des danses autour de l’abondance de nourriture apportée par Ephraïm. Le jeune garçon, qui participe à la cuisine, ne tient pas à manger de l’agneau. Mais il l’acceptera, parce que c’est la grand-mère (donc une femme) qui le lui mettra à la bouche. Et il aimera cela. A partir de ce moment-là, il pensera aussi à son père, parti à la ville. C’est-à-dire que ce rite culinaire l’aura fait entrer dans sa dimension d’homme.
Ce film éthiopien reprend donc la dialectique du végétal féminin en opposition à l’animal masculin, que l’on trouve régulièrement maintenant dans les films occidentaux qui parlent de nourriture. Il se rapproche d’Hungry hearts, le film américain avec cette mère végétarienne qui n’admettait pas de faire manger de viande à son enfant touché par le rachitisme. On y trouve pour finir la même tolérance, malgré l’opposition du végétarien et du carnassier. Dans Hungry hearts, c’est le père qui admettait le végétarisme de son épouse, dans Lamb, ce sont les femmes qui admettent la consommation de viande.
Cette proximité avec le cinéma occidental s’explique par la mondialisation. Dans la famille, c’est l’aînée des cousines, qui sait lire et qui s’informe, qui, d’autre part, soutient la consommation de lentilles et de pois chiches lors de la fête de la Croix, parce qu’on y trouve autant de protéines que dans la viande. Et puis, il y a le café du village, où les hommes débattent autour du journal. Ce média informe la population que l’agriculture éthiopienne doit être exportatrice. Le parcours d’Ephraïm, avec sa brebis convoitée, éclaire sur la situation éthiopienne dans la mondialisation et sur le débat du végétarisme et de la nourriture carnée. Les anciens constatent que la nourriture est plus rare qu’il y a vingt ans. Des anciens qui vivent dans un coin pas très touché par la sécheresse. Quand ils parlent de nourriture, il s’agit de viande. La terre est réservée aux végétaux à cause des exportations. Ephraïm manquera d’y perdre sa brebis en voyageant avec elle sur une zone interdite ; une zone où l’on abat les broutards. La viande manque pour les questions de nutrition, mais aussi pour le plaisir. La cousine, intermédiaire en âge, attend avec hâte les fêtes de la Croix où l’on « peut manger ce qu’on veut : pain d’épices, mais aussi ragoût de poulet et ragoût de mouton ».
Le film n’occulte pas la question de la raréfaction de l’eau dans le choix de privilégier les cultures aux troupeaux. Au début du film, Ephraïm se fait rabrouer, car il vient de voler un épi de
sorgho dans une zone touchée par la sécheresse, toujours pour nourrir sa brebis. Le film y répond par une variété de sorgho plus résistante à la sécheresse. Finalement, il défend l’idée que
l’agriculture doit d’abord nourrir sa population avant d’être exportatrice pour des raisons nutritionnelles, mais aussi de diversité des espèces vivantes.