J’avais remarqué que de nombreux débits de tabac en France s’appellent « La civette » ou « A la Civette » comme celui situé à Paris, non loin du Palais-Royal, qui, non content de se proclamer « probablement » la plus vieille enseigne de Paris, se prétend en outre le premier à avoir porté ce nom.
Intriguée, je décidai de mener l’enquête.
Je découvris que la civette est un petit mammifère carnivore de la famille des Viverridés au pelage gris jaunâtre tacheté de noir qui sécrète une substance grasse et nauséabonde produite par ses glandes anales, appelée elle aussi civette[1] . Or, l’odeur de la civette disparaît lorsqu’on la met en contact avec des matières parfumées dont elle renforce au contraire l'intensité. Elle a pour cette raison été très utilisée en parfumerie comme fixateur.
Je n’étais guère plus avancée : quel rapport pouvait-il avoir entre le tabac et le petit mammifère ? Cela ressemblait singulièrement à la fameuse pantoufle de Cendrillon dont le verre s’est trouvé animal par le fait d’une étourderie.
Le jour de l’Epiphanie, je fis un rapprochement avec la frangipane qui me mit sur la voie. En effet, avant d’être cette crème à base d’amandes qui garnit la galette des rois, la frangipane avait désigné le parfum inventé par le marquis Frangipani au dix-septième siècle pour masquer l’odeur de cuir des gants. Autrement dit, la civette avait parfumé le tabac comme la frangipane les gants.
Une question restait pourtant en suspens : l’usage de parfumer le tabac avec de la civette était-il antérieur ou postérieur à la fondation de l’établissement du Palais-Royal ? Dans les archives, je découvris qu’à sa création, en 1716, la « Civette du Palais-Royal » avait d’abord fait commerce de parfums avant de se spécialiser dans la vente du tabac et de lui adjoindre le fixateur naturel de l’animal pour en exalter l’odeur. La renommée de l’établissement était si grande à l’époque que son enseigne fut adoptée par de nombreux débits de tabac à Paris et en province et devint même le nom générique pour les désigner.
Belle revanche pour ces petits animaux modestes que Buffon qualifiait de « naturellement farouches et même un peu féroces » .
1] Le parfum de ces animaux est si fort, qu’il se communique à toutes les parties de leur corps, le poil en est imbu et la peau pénétrée au point que l’odeur s’en conserve longtemps après leur mort, et que de leur vivant l’on ne peut en soutenir la violence, surtout si l’on est enfermé dans le même lieu. » (Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi, Tome Neuvième, Paris, Imprimerie royale, 1761).