Pension complète

 

Pension Complète  

 

Réalisateur: Florent Siri

Billet de Vincent Chenille

 

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Pension complète est le remake de La cuisine au beurre, réalisé par Gilles Grangier en 1963.

Les deux films opposent deux caractères et deux cuisiniers autour de la même femme. Dans La cuisine au beurre, c’était l’opposition du nord et du sud, de la sole normande contre l’omelette à l’huile. Dans Pension complète, c’est l’opposition de la cuisine élaborée avec saumon à l’émulsion citronnée face à la cuisine populaire, au hamburger. Dans les deux cas, il n’y a pas tromperie, puisque les deux hommes sont légitimement époux de la même femme ; l’un est putatif. Le premier mari, disparu depuis une dizaine d’années, est considéré comme mort. A son retour, officiellement, il est toujours le mari et le second est putatif. Nous sommes dans une comédie, à visée heureuse. Bien évidemment, les deux hommes doivent se réunir autour de la même femme et ne plus s’opposer. Dans La cuisine au beurre, l’homme du sud se met au service de la sole normande, et l’homme du nord surmonte son mépris, car, avant lui, c’était « de la conserve ». Dans Pension complète, c’est le cuisinier populaire qui aide le grand chef à obtenir sa première étoile au Michelin, en mettant un hamburger à la carte ; grand chef qui n’affiche plus son mépris pour l’ancien cuisinier qu’il qualifiait de « surgelé, cafard ».

Pension complète apparaît comme l’antithèse de L’aile ou la cuisse, lorsque la grande cuisine du guide Michelin s’opposait au fast-food de Jacques Borel et dont l’emblème était le hamburger. Le film prend en compte la mise à la carte récente de hamburgers par des chefs étoilés. Même si ce ne sont pas les mêmes hamburgers que chez MacDonald. En ce sens, Pension complète va dans le même sens que On aurait pu être amies et Discount, en introduisant de la cuisine populaire, de la cuisine conviviale et de plaisir avant tout, dans la grande cuisine. Avant ce mariage du hamburger et de l’émulsion aux truffes, les cuistots du chef trouvaient sa cuisine trop classique et voulaient l’orienter vers du sucré-salé et du sushi. Ce qu’il se refusait à faire. Pension complète préconise le mélange des origines en cuisine, mais demeure dans un modèle occidental. D’un côté, il y a le saumon, les légumes traditionnels et bios, comme les carottes, les panais, les asperges, du restaurant Epicure (nom un peu prétentieux), de l’autre, il y a le hamburger de l’ancien restaurant Melrose Place, très ancré donc dans la culture américaine. La rencontre entre les deux se fera autour des pâtes (elles nous viennent de Chine, mais ont avant tout une identité italienne, et le film se déroule d’ailleurs sur la Côte d’Azur). Cela ne signifie pas pour autant que l’immigré est mis au ban. Il n’y a pas de porc dans le film et l’ancien chef est d’origine gitane. Mais on demeure dans une identité occidentale.

La question de l’identité ethnique est donc bien présente dans le film, même si elle est relativement moins importante que l’identité sociale. Elle l’était paradoxalement plus dans La cuisine au beurre, puisque cette femme entre cet homme du nord et celui du sud était assimilable à la France, territoire constitué d’influences géographiques de tous les pôles. C’est un paradoxe, car la question de l’identité nationale et de l’intégration en 1964 n’était pas sensible comme elle peut l’être aujourd’hui. Mais, dans La cuisine au beurre, cette diversité ethnique n’est là que pour légitimer par analogie les évolutions sexuelles de l’époque. Le film montre une femme légalement polygame, par défaut de la loi. De facto, les relations intimes qu’elle peut avoir avec son ex, en même temps qu’avec son mari, ne sont pas illégales ni interdites. Le film sort en même temps qu’arrive en Europe la pilule contraceptive, qui va faciliter les relations sexuelles des femmes avec des hommes différents. Ainsi La cuisine au beurre donne-t-elle l’image d’une femme avec plusieurs hommes et qui n’est pas irresponsable.

La question sexuelle est aussi très présente dans le remake de La cuisine au beurre, et elle entraîne des répercussions alimentaires. Contrairement aux cuisiniers qui figurent sur grand écran depuis le mois de septembre, on ne peut pas parler, dans sa vocation, de déficience concernant les parents du chef, puisque sa mère, qui est encore vivante, tient un petit restaurant à quelques kilomètres du sien. En revanche, on ne parle pas du père, qui demeure invisible. C’est de ce côté-là qu’il y a déficience, puisque le chef souffre d’infertilité. Une infertilité qui est passée inaperçue, car il est tout à ses fourneaux. Mais son épouse veut un enfant. C’est l’ex-mari qui viendra pallier cette déficience. Et la liaison sexuelle qu’il a avec son ex-épouse correspond au moment où il introduit le hamburger, c’est-à-dire la viande dans la carte. La virilité de l’ex a aussi une incidence positive sur l’obtention de l’étoile. C’est en couchant avec la femme d’un critique du guide Michelin que celui-ci se décide à venir au restaurant Epicure. On peut douter qu’il s’agisse d’un critère réel de choix de restaurant pour les critiques du Michelin. Mais le procédé comique aide à renforcer l’idée qu’il faut du sexe dans les plats qui sont cuisinés. La dimension sexuelle ne se limite pas à un discours alimentaire. Le chef apprend son infertilité après la naissance de l’enfant. Son attitude ne sera pas celle du rejet, au contraire, il sera tout ouvert à l’enfant et à l’ex-mari, qui lui aura permis de garder son épouse et d’obtenir sa première étoile.