Le crime du sommelier
Réalisateur: Fernando Vicentini Orgnani
Billet de Vincent Chenille
Il s’agit de Giovanni, un employé de banque, qui, trois ans avant cette histoire de crime, ne buvait que de l’eau et des jus de fruit. Il a été initié au vin par « le professeur », qui lui a fait goûter du Mazemino et qui lui a révélé son don insoupçonné d’odorat.
Le professeur est accompagné de trois disciples : Marco, Matteo et Luca. Face à l’inspecteur qui l’interroge sur ses alibis, Giovanni se rend compte que les disciples de ce professeur sans nom ont le prénom d’évangélistes, et que lui-même a le prénom du quatrième évangéliste. Tout porterait à croire que le professeur en question, qui l’initie au vin, est le Christ. Il s’agit d’une fausse piste, car le professeur dit au sommelier qu’il lui fait penser à Don Giovanni, à Dom Juan. Dom Juan est bien sûr le séducteur, mais il est aussi celui qui défie Dieu. Au service du professeur, il y a aussi Marguerite, celle qui va entraîner la chute de Giovanni, en disparaissant dans la nature, alors qu’il est accusé du meurtre de sa femme. Marguerite nous ramène à Faust et au pacte avec le diable.
De fait, Giovanni conclut un pacte avec le professeur. Il ne court pas après la jeunesse comme Faust, mais après les bouteilles de vin les plus rares, celles qui valent des milliers d’euros (dont une signée par Toscanini). A ce tarif-là, même son salaire de directeur d’agence bancaire ne lui suffit plus, il touche des rétrocommissions de fonds cédés au professeur. Réussite dans sa carrière, séduction des femmes, argent facile, Giovanni a tout du démon. Mais vient le moment de payer l’addition avec le meurtre de sa femme dont il est accusé, et ses alibis qui se dérobent ou qui meurent. Sa damnation n’a rien d’épouvantable, pas de flammes infernales, il retrouve le professeur et les trois autres évangélistes dans la montagne (le diable chausse un chapeau identique à celui porté par Joseph Cotten dans L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock en 1943 ou par Jules Berry dans Les visiteurs du soir, de Marcel Carné en 1942, deux incarnations du diable) d’où ils s’apprêtent à dominer le monde.
Il n’y a donc rien de tragique dans cette damnation au contraire, ni dans le fait d’apprécier et boire du vin. Le film sort le produit de l’opprobre religieuse, qui peut exister à son encontre, non en contestant les péchés qu’on peut lui associer, mais en donnant une image sympathique du diable, une image héritée de l’épicurisme antique. Reste que Giovanni obtient son heureuse damnation par la mort de sa femme. Là encore, rien de tragique, puisque c’est le diable qui fait le boulot à sa place. Cependant, il y a bien une occasion, où il aurait volontiers tué sa femme. Jalouse des dépenses qu’il effectue pour le vin, elle met ses bouteilles sous séquestre et commence à vivre luxueusement. Pour le torturer, elle lui annonce, en pleine partie de golf de Giovanni, qu’elle ouvre la bouteille quinquagénaire. Il fonce la retrouver, juste le temps de boire la dernière goutte qu’elle lui a laissée. Il insulte son épouse, furieux, prêt à la tuer, avant qu’un homme ne l’assomme d’un coup de poing.
Giovanni ne commet pas le crime, et son épouse n’est pas assassinée pour son geste envers le vin, mais parce que les manipulations financières de Giovanni commencent à apparaître et qu’il y a un risque de remonter jusqu’au professeur. Cependant il y a un sentiment de supériorité chez ce sommelier qui distingue les fruits rouges et les fleurs dans ses crus, par rapport à l’épouse qui boit une bouteille de rouge 1996 avec une pizza. Il y a l’idée qu’ils appartiennent à une élite et que leur valeur dépasse celle de cette épouse. Le réalisateur en fait-il un principe ? Non, car si le récit a tout du conte universel, il s’inscrit bien dans notre monde contemporain. Et à ce titre, le film s’inscrit dans une promotion des cépages italiens, particulièrement par rapport à leurs concurrents français. Dans sa quête de patrimoine, Giovanni commence à acheter des vins français. Mais les bouteilles qu’il consomme au présent sont des vins italiens, le Mazemino, mais aussi le Giovanni Ferrari 95. Le film débute par un concours, un test à l’aveugle. De réputés œnologues y figurent, dont une Française. Mais c’est Giovanni qui les bat tous en découvrant et en faisant la promotion pour le vin pétillant Giovanni Ferrari. « N’hésitez pas à en ouvrir une bouteille », clame-t-il. Le crime du sommelier s’inscrit dans la veine de la crise financière de 2007-2008 avec des films comme Le loup de Wall street, The big short, avec des portraits de financiers, de traders. Critique, le film se caractérise par cette utilisation du diable, qui exprime le fait que le sommelier ne contrôle pas tout ce qui lui arrive, le disculpant par la même occasion. Cette introduction a aussi pour conséquence de réintroduire le religieux concernant le vin dans un contexte contemporain.