Les films de survie sont propices aux représentations alimentaires cinématographiques, car les personnages y sont confrontés au problème de la faim, de la recherche d’aliments ; et c’est, bien sûr, le cas avec les récits de naufrage du type Seul au monde (2000) de Robert Zemeckis, Duel dans le pacifique (1968) de John Boorman ou L’île mystérieuse (1961) de Cy Enfield. La nature fournit alors, souvent dans la difficulté pour y accéder, de quoi se nourrir. Les naufragés répond à tous les codes de survie après un naufrage, ici dans les Caraïbes, sauf qu’ici, il n’y a rien du tout à manger ni à boire. La nature a beau être luxuriante, il n’y a pas de fruits sur les arbres ; quant au bord de mer, il semble vierge en poissons. De fait, la nature finira par livrer quelques poissons et l’île, une source d’eau claire. Mais la rigueur de la disette au début est destinée à mettre à l’épreuve le personnage : lui qui avait tout, n’a plus rien. Financier ayant détourné des milliards d’euros, il fuit la France pour éviter le fisc. Dans sa fuite précipitée, il conduit un avion dans la tempête, qui se crashe en mer. Il est accompagné d’un teinturier qui fait du tourisme, et qui l’aidera à nettoyer son âme en apprenant à vivre plus simplement, en harmonie avec l’environnement. Comme dans The big short, l’alimentation est une métaphore de la finance, à cette différence près que, dans le film américain, c’est la qualité des produits qui était en question, ici, il s’agit de quantité.
Dans cette nature sans fruits, les seuls aliments préservés sont ceux contenus dans un paquet de crackers, propriété du teinturier, qui rationne le paquet. Ce n’est pas du goût de Jean-Louis Brochard qui, malgré une entorse, ira voler un cracker pendant la nuit, tout en niant le lendemain l’avoir fait. Brochard apprendra à pêcher, le bernard-l’hermite d’abord, puis le poisson, et à ne plus disputer la viande. Car, sur cette île, se trouve un des derniers varans. L’île, en effet, n’est pas désertée, c’est un paradis pour touristes, avec un parc naturel, où se trouvent des espèces protégées, mais rien qui ne puisse nourrir le grand nombre de touristes. En dépit de l’abondance des buffets, le film pousse à la modération, car la nature n’est pas inépuisable. Brochard finira par ne plus contester les poules destinées au repas du varan et se contentera d’œufs volés dans des nids et de cueillette ; de même, pour les baies qu’il refusait au début, les suspectant d’être empoisonnée.
Sa punition, pendant tout ce parcours initiatique, sera d’ignorer qu’il se trouve non pas sur une île déserte, mais dans un parc naturel, alors que de l’autre côté de l’ile, les touristes font bombance à coups de cocktails et de crustacés. C’est le teinturier qui lui fera découvrir la vérité. Construisant un radeau, il sera déporté de l’autre côté de l’île et, là, il découvrira les journaux faisant la une avec les détournements de fonds de Brochard en même temps que l’abondance de l’hôtel. Lui qui s’était montré si partageur se jettera au départ sur la nourriture, rien que pour lui, puis il finira par apporter à boire et à manger au financier sans l’informer qu’il existe un hôtel de l’autre côté : Brochard pourrait y faire bombance, mais avant tout être arrêté. Cette situation amène à des anomalies alimentaires : Brochard s’étonne de l’existence d’une source d’eau pétillante sur l’île (le teinturier ne s’était pas aperçu qu’il avait ramené de l’eau gazeuse…).
Il s’agit bien dans ce film de partage et de modération pour des motifs environnementaux, pas pour des raisons communautaires. D’ailleurs, le film fait fi d’interdits religieux. Pour fuir, Brochard a acheté un passeport qui appartenait à un Arabe. Pour tous, il s’appelle donc Mustapha. Pour cette raison, le teinturier hésite à lui donner un cracker, car ils sont au bacon. Brochard croque le cracker en expliquant qu’il ne suit pas sa religion.